Et si le ciel venait à mourir ?

[Premier post...]


Cat enfonça ses ongles dans la terre meuble en un geste désespéré. Les petits bouts de cornes ne firent pas ce bruit habituel lorsqu’ils s’enfoncèrent dans le sol. Ce bruit qu’il avait l’habitude d’entendre, ce bruit qu’il avait appris à chérir. Cat baisse les yeux, triste et dégoûté. Il n’était plus rien. Rien qu’une ombre. Les cheveux violets lui balayent le visage en une sorte de rideau dissimulant ses yeux. Il repose sa tête contre ses genoux en un geste d’abandon. Ses épaules se soulèvent en de longs spasmes.

Désespoir. Chute.

Il rit. Il rit de son malheur. Un rire malsain. Ironique, à souhait. Un rire vide de bonheur. Dans ce lieu, il y a juste le silence. Le silence et ce rire abominable. Le Chat se balance d’avant en arrière, riant et pleurant en même temps. Chester payera. Dans un peu moins de deux lunes, il payera. Et c’est un serment. C’est l’ombre de la folie qui se dessine dans les prunelles violettes de Cat. Une folie vengeresse. Les ongles s’enfoncent un peu plus dans la terre. Il regarde les marques. Les griffures qui lui marquent les poignets, vestige des fantasmes de son…Son Maître. De chat errant, il est devenu chat domestique. Un chat que l’on entrave. Un chat qui n’a d’autre choix que d’obéir.

« Ordonnez, et j’obéirai, mon Maître. »

La phrase sonne, moqueuse, dans un recoin de son esprit. La phrase se grave dans son cerveau et se répète à l’infini. Ses muscles se crispent. Il semble se tétaniser. Ses lèvres s’ouvrent et il hurle, hurle. Il crie sa douleur et son ressentiment. Il hurle sa frustration et sa haine. Il se décharge de ses sentiments qui l’envahissent. Et il souffre, souffre. Il n’arrive plus à se débarrasser de la douleur qui hante son cœur. Il est un être bafoué. Il se déteste. Il le déteste. Il hait ce qu’il a fait de lui. Il hait l’être faible et soumis qu’il est devenu. Il sort ses doigts de la terre et se lève. Il époussette le pantalon déchiré aux genoux qu’il porte avant de jeter un coup d’œil haineux à l’oiseau qui chante dans l’arbre d’en face. Un oiseau libre au chant moqueur… Un bruit le fait tressaillir. Il se retourne, cherchant sa provenance.

Cat fixait d’un air étrange le nouveau venu. Il sentit à peine l’assiette dans ses mains mais sentit parfaitement, par contre, sa perte d’équilibre. Il se retrouve assis au pied de l’arbre, une assiette à gâteau dans les mains et un type étrange le fixe. Il pose l’assiette sur ses genoux et écrase du bout des doigts une des larmes s’échappant sur sa joue.

-Allez... Racontez moi tout... C'est la reine hein!

Le Chat fronce les bandes de poils se trouvant au dessus de ses yeux. Si ce n’était que la Reine...Un sourire apparaît sur son visage, petite ombre presque irréelle.

-Serait-ce tellement évident ?

Il regarde son interlocuteur, la tête penché sur le côté. D’une certaine façon, le type à la tasse avait raison. Pas de Reine, pas de pacte avec le Grand Méchant Loup, pas de pacte avec le Grand Méchant Loup, pas de problème avec Alice etc. Tout bien réfléchi, oui, c’était bien la faute de la Reine tout ça. Enfin. C’était sa faute à lui, aussi, tout de même. Ses pensées tourbillonent dans son esprit. Il jette un coup d'oeil au gars au chapeau et plante la fourchette dans le gateau, méfiant. Il n'a jamais gouté de "fondant au chocolat". Jamais de chocolat tout court, à proprement parlé. Il porte la fourchette à sa bouche et mastique un petit peu. C'est...Une grimace déforme sa bouche. C'est un peu trop sucré pour lui. M'enfin. Il hausse les épaules et avale la bouchée avant de dire :

-Je m'appelle Cat. Et vous vous êtes ?

Avec un nom, n'importe qui peut faire n'importe quoi. Avec un nom, l'individualité attend juste que tu la saisisses. Il perd son regard au loin. Il est encore tendu, à l'affut. Ce n'est pas agréable mais il a l'habitude.

C’était assez étrange. Il entendait parfaitement ce que lui disait Carol mais ne trouvait pas quoi dire. Son envolé sur « son chat » lui avait coupé le sifflet.
*En faites ils sont tous pareils*, songe-t-il.
La dernière phrase est une question à laquelle son esprit embrouillé peut répondre sans le faire passer pour le dernier des idiots.

-Alors, vous venez d'où comme ça, sans chaussures et sans sourire? Curieux pour un chat d'ailleurs... Vous l'avez perdu? J'en ai peut-être un qui traîne si ça peut vous arranger...

La phrase tourne dans son esprit. Elle monte, descend, fait un tour, puis repart à gauche pour s’échouer à droite. Il tente de la stabiliser sans vraiment y arriver. La phrase continue à faire des bonds et c’est une réponse laconique qui finit par franchir ses lèvres :

-Mon sourire et mes chaussures sont sans doute à l’endroit où j’ai rencontré mon Maître…

Maître. Tant de dégoût en un seul mot. Il regarde Carol chercher activement un sourire dans son chapeau. Une ombre de sourire frôle ses lèvres. Un résidu tellement faible qu’il est probablement imperceptible. Probablement ? Sûrement même. Il se mordille la lèvre avant de demander, gentiment :

-Alors ? Vous avez un sourire de rechange dans votre chapeau ?

Il ne se moque pas. Il trouve la réaction relativement sensée, même. Enfin sensée…Sensée autant qu’il puisse en juger. Son chapeau c’est peut-être un portail dimensionnel entre ce monde et sa réserve de sourire-gateau-thé [Barrer la mention inutile]. Il secoue la tête et jette un coup d’œil à la clairière dans laquelle ils se trouvent. Ombragée, c’est le cas de le dire. En même temps certains arbres sont tellement hauts qu’il aurait été dur, voir impossible, de faire autrement. Impossible ? Tient donc. Depuis quand Cat tient-il compte de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas ? Ses « sourcils » se froncent. Serait-ce un côté « humain » de ce nouveau corps ? Ses dents s’enfoncent un peu plus dans sa lèvre. Chester aurait donc tenté de le changer physiquement et psychologiquement ? Non…Impossible. Les sourcils se rencontrent presque à la nouvelle mention du mot impossible qu’il décide, dans un nouveau décret à son cerveau, de le censurer de son vocabulaire.

[HJ : Pardon pour le retard =/]


Après le pâle sourire, un léger rire secoua le corps du jeune homme. Carol était franchement drôle. Il secoue la tête et acquiesce doucement à propos du lait :

-J’adore le lait ! Mais il n’y a pas si longtemps que ça je ne pouvais plus en boire…

J’adore, j’aime, je hais, je déteste… Tous ces verbes de préférences et d’opinions il n’y avait plus droit. Il devait se plier à ce que lui disait le Maître. Le sien. S’il voulait qu’il aime telle chose, alors il l’aimerait, le contraire était vrai. La seule chose à laquelle son Maître ne pouvait pas toucher c’était à la couleur de ses cheveux. Pas faute d’avoir essayé, pourtant. Que ce soit teintures, sorts ou autre rien n’avait tenu, unique clin d’œil de la magie qui l’habite. La magie qui coule dans ses veines mais dont il ne pouvait plus se servir. Esclave. C’est ce qu’il était au font. Esclave sexuel, bonne à tout faire. Sans aucun répit. Il ne dort pas la nuit, il ne se repose pas le jour. Tout ça jusqu’à ce que Chester se trouve une poupée plus attirante, plus aguichante. Une poupée qui ne soit pas que l’ombre d’elle-même. Ce jour là, il le mettra à la porte. Ou le tuera, peut-être, ça dépendra de son humeur du moment, suppose souvent Cat. Dans tous les cas, il portera à jamais les marques indélébiles dont son corps porte la trace.

Il mâchonne sans aucune délicatesse le biscuit au gingembre, dont il trouve le goût appréciable. C’est même très bon constate-t-il désabusé. A côté de combien de chose est-il passé, comme ça ? Il n’avait jamais goûté de chocolat, jamais, non plus, de « gâteau au gingembre » comme l’autre avait appelé ça. Il lève les bras et fait des moulinets, histoire de débloquer ses épaules engourdies. Le geste est ridicule. Sous son ancienne forme c’était tout de suite plus élégant.

-Et toi tu aimes quoi Carol ?

Il s’intéresse à l’humain qui lui fait face. Une grande première. Il n’empêche que c’est un intérêt réel. Parce que Carol l’a fait sourire. Parce qu’il l’a même fait rire. Une grande première, vous dis-je ! Il boit le lait à petite gorgée et le sent avec délice glisser le long de sa gorge. Dieu, que cela faisait longtemps qu’il n’en avait pas bu ! Il baille, les yeux mi-clos. Comme si un peu de lait et un personnage étrange mais qui le rassurait étrangement pouvaient lui rendre le sourire. Ben… Visiblement si. C’est sûrement pas durable. C’est sûrement pas définitif. Mais pour l’instant une petite flamme de bougie presque éteinte teinte le regard du chat d’une étrange lueur bienheureuse. Il ronronnerait presque. D’ailleurs c’est un ronron qui vibre dans sa gorge. Une antique relique de sa vie d’autre fois.

[ HJ: c'est pas grave, t'en fait pas. ]