Éveil confus [avec...]

Le soleil du matin frappait avec élégance les murs fragiles des chaumières, accompagné par les formes indistinctes des ombres d’arbres, qui frémissaient à chaque brise. Le bruit du vent qui se levait en même temps que le jour se faufilait entre les feuillages épais, semblable au sifflement d’un serpent des plus légers. L’automne montrait le bout de son nez, peinturant les Milles Forêts de couleurs chaudes.
À l’intérieur de l’une des chaumières, dormait un petit homme d’une quinzaine d’années. Il avait les poings serrés et son visage ensommeillé dessinait une expression inquiète. Ce soir-là, il s’était couché avec joie et désespoir, exténué. Cela faisait de nombreuses nuits qu’il ne pouvait plus dormir, des cauchemars désagréables troublant son sommeil depuis la mauvaise expérience qu’il avait connue avec Hänsel. Chaque nuit, il revivait cette semaine de servitude chez l’homme sans nom, ces instants où il n’avait plus le soutien de son aîné adoré, ces moments où ils n’étaient plus rien l’un et l’autre que des objets. Mais pour une fois, cette nuit-là, il avait dormi d’un sommeil profond et sans rêve; maintenant que les rayons du soleil franchissaient la fenêtre pour frapper ses paupières, il devait lutter fortement pour rester endormi. Le soleil l’emporta. Il ouvrit les yeux et dût les refermer aussitôt, aveuglé. Hänsel avait-il ouvert les rideaux, déjà? Il faisait si tôt! Comment avait-il bien pu s’être déplacé dans son sommeil pour être maintenant face au soleil?

Il se retourna avec un soupir dans son lit – mais ça n’était pas son lit. Cette fois, il ouvrit les yeux pour de bon, réalisant qu’il n’avait même pas de draps… et qu’il était loin de se trouver dans sa chambre. Il se redressa d’un bond et chercha Hänsel des yeux : il n’était pas là. Il était seul, nu sur un lit de paille, dans une maison qui semblait plutôt pauvre. Il n’y avait même pas de vitres aux fenêtres et le toit semblait lui-même fait de paille, soutenue par des poutres de bois. Il était tenté de se pincer pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Tout ceci paraissait si réel, il ne pouvait pas rêver…
Alors qu’il allait se mettre debout, il entendit une voix rauque et désagréablement familière s’élever près de lui.
- Gretel! Debout!
Son premier réflexe fut de se recroqueviller sur sa couchette, posant les mains sur ses oreilles. Puis, juste pour s’assurer qu’il n’avait pas halluciné, il tourna la tête et regarda dans la direction d’où venait la voix : il était là, une bouteille à la main, l’air furieux, son père.
- Non!
Il avait dit cela en se levant pour se jeter sur lui. Il ne pouvait pas être là, il était mort, il devait être mort… Mais il tomba au sol, faible et intimidé par sa propre nudité. Son père avait disparu. Il l’avait imaginé. Il devait certainement rêver : c’était le rêve le plus réaliste qu’il eût fait depuis longtemps, mais Gretel devait s’attendre à ce qu’il soit encore pire que les autres. Il serait sûrement rempli de mauvaises surprises, et alors qu’il se sentirait bien, tout allait se gâter… L’adolescent déglutit avec peine, effrayé d’avoir à sortir de cette chaumière : s’il restait ici, peut-être serait-il en sûreté.

Malgré tout, toujours mal à l’aise, il voulut se couvrir : il se leva et explora la chaumière, espérant trouver quelque part un vêtement à se mettre sur le dos. Il ne repéra qu’une couverture rude, qu’il s’enroula à la taille avant de se diriger vers la porte d’entrée par laquelle il sortit.
Non loin, les Milles Forêts s’étendaient avec leurs habits rougeoyants. Gretel frissonna, avec l’impression effrayante qu’il était au beau milieu de nulle part : s’il tentait de traverser la forêt, il finirait sûrement par s’y perdre et y mourir de faim.
Mais s’il rêvait… pouvait-il mourir?
Et s’il ne rêvait pas?
Soupirant, le cœur plein de confusion, Gretel s’agenouilla sur le porche de la chaumière, la tête entre les mains. Que faire?
La tête baissée, il remarqua sur le sol la multitude de galets d'une blancheur immaculée qui s'étendait tout autour de la maisonnette. Ses pensées tournoyaient à toute vitesse. Ennuyé, Gretel en prit un et le jeta le plus loin qu'il pût. Il ne savait ni où il était, ni ce qu'il devait faire, il n'était même pas certain que tout cela était réel. Et cette étendue verdoyante devant son regard l'intimidait, donnant l'impression d'être éternelle.

< Hänsel > Encore une fois ...

Il comptait ... Cela faisait la troisième fois qu'Hänsel se réveillait ici. Trois jours qu'il était coincé dans cette petite maison en chaux et au toit de paille, perdu au milieu d'une forêt qu'il ne connaissait pas et qu'il n'osait explorer de peur de se perdre. Le jeune garçon, bien qu'on ne put le deviner, était terrifié comme il ne l'avait jamais été. Etre seul ... Complètement seul, durant trois jours entiers, sans la moindre compagnie, même pas celle d'animaux ou d'insectes. L'endroit semblait stérile et coupé de tout, c'est ce qu'il donnait toute cette angoisse au jeune allemand. Il se sentait comme pris au piège, bien qu'aucunes barrières palpables ne l'empêchent d'aller plus loin. Il ne quittait pas sa colline et dans les moments les plus fous, s'aventurait jusqu'à la lisière de la dite fôret pour se remplir le gosier de baies sauvages. Peu lui importait qu'elles soient comestibles ou non, depuis trois jours, il ne ressentait même plus la faim.
Il avait beau essayer, mais rien ne lui revenait en tête. Il se rapellait juste s'étre endormi en même temps que son frère dans leur chambre -qu'ils partageaient encore- dans la plus grande quiètude. Il s'était éveillé dans ce lit de paille comme si on l'avait déposé ici par magie sans qu'il ne s'en rende compte. Mais pourquoi lui ? POurquoi n'avait-on pas enlevé son frère par la même occasion ? Surtout que Gretel était bien plus mignon et faible, le kidnappeur avait prit plus de risque en choisissant le frère le plus âgé ... S'il était question de kidnappeur puisque plus le temps avançait et plus Hänsel se croyait mort ou enlevé par les extra-terrestres ...

Péniblement, le jeune garçon se leva puis attrapa le bout de tissu jaunâtre qu'il avait jeté sur le lit jumeau la veille. Il s'entoura la taille avec -faute de ne pas avoir autre chose- puis poussa un soupir qui montrait tout le désespoir qui l'envahissait. Il traversa la chaumière d'un pas lent et lourd jusqu'à ce que ses pieds l'amènent dans l'entrée mais ...

< Hänsel > Qui êtes vous ?!!!

Quelqu'un était assis ou plutôt agenouillé devant le porche de la maison à fixer le sol. La première chose que Hänsel avait envie de faire était de prendre cet inconnu aux drôles de cheveux dans les bras pour le remercier de mettre un terme à sa solitude. Mais on ne sait jamais sur qui on peut tomber, le passé le lui a montré ......

Alors qu'il prenait un galet immaculé entre ses doigts pour tromper son ennui et sa nervosité, Gretel entendit une voix étrangement familière s'élever derrière lui. Non, plus tôt... agréablement familière. Une voix apaisante, profonde, qui lui réchauffa le coeur au moment où elle parvint à ses oreilles. Pourtant, il avait tant l'impression d'être seul... Perdu dans ses pensées, il lui prit du temps avant de réaliser que cette voix s'était réellement élevée et qu'il ne rêvait pas: il y avait quelqu'un non loin de lui.
Lentement, un peu effrayé de ce qu'il allait trouver, il tourna la tête vers son nouvel interlocuteur. Il avait déjà halluciné son père... qu'allait-il voir maintenant? Certes, cette voix lui était chaleureuse, mais...
Hänsel...
N'était-ce pas Hänsel?
Aussitôt, Gretel laissa tomber le caillou sur le sol qui entourait la maison et se releva, tentant d'accourir du mieux qu'il le pouvait dans sa couverture de jute vers l'homme qui se tenait debout à quelques mètres de là. Son visage était rayonnant, étiré en un grand sourire de satisfaction et d'amour. Son frère était là, il l'avait rejoint, il venait le sauver! Lui savait sûrement où ils étaient, lui allait sûrement lui expliquer ce qu'il fallait faire pour se sortir de là.

Mais alors qu'il courait, Gretel eût un doute. À environ un mètre du jeune homme, il s'arrêta et se contenta de l'observer. Il y avait quelque chose de différent... Ses cheveux n'avaient pas la même couleur que d'ordinaire... Une teinture, peut-être? Non, il devait rêver. Et si lui aussi était une hallucination? Et s'il allait soudainement disparaître ou mourir dans ses bras? Il était certainement dans un cauchemar, et il ne devait plus faire confiance à ce qui l'entourait. Il tourna la tête avec incertiture, dirigeant son regard vers l'infini des forêts alentour, effrayé.
Mais en regardant à nouveau, il se remit à sourire. Les traits étaient trop identiques, le regard était trop bienveillant, ce devait être son frère, ce ne pouvait pas être autrement. Éclatant de rire, il franchit les derniers pas qui le séparaient de lui, retrouvant son insouciance habituelle.
Il allait se jeter dans les bras de son frère mais il se retint, voulant faire bonne figure devant lui. Il réalisa soudainement la situation dans laquelle il était, et surtout la situation dans laquelle son frère était : nus, enroulés dans des bouts de tissus accrochés à leur taille pour se garder une petite gêne, sans plus. Ils devraient se trouver des vêtements.
Gretel avait devant les yeux - bien qu'il eût la tête relevée vers le visage rassurant de son grand frère - le torse sculpté de Hänsel, conscient qu'ils étaient tous deux nus l'un devant l'autre. Autrement, il aurait peut-être eu moins de difficulté à supporter une telle idée, puisqu'il était sa famille et son ami, mais en ce moment, il était pris d'une pudeur soudaine. C'est en rougissant qu'il prononça ses premiers mots envers son frère.
- Hänsel... Je suis si content que tu sois là!
Il avait toujours le réflexe de s'accrocher à son frère, de le toucher pour s'assurer qu'il était vrai, mais il tentait de retenir ses ardeurs, les deux mains dans le dos.

Se méfiant, Hänsel se tenait sur ses gardes, prêt à sauter sur cet inconnu s'il le fallait. Il regretta soudainement d'avoir adressé la parole à cette personne dont il ne connaissait rien et dont il ne voyait même pas les traits. Mais à la vue de sa petitesse et de sa silhouette chétive, il n'avait à priori rien à craindre dans un éventuel combat au corps à corps. La personne se retourna et lentement le jeune allemand découvrit avec stupeur mais aussi bonheur que cet inconnu n'était personne d'autre que son frère cadet. Sa bouche se déforma en un sourire qu'il ne pouvait réprimer. Gretel était vraiment la personne qu'il avait envie de voir en cet instant même dans ce moment de détresse. Peut être connaissait-il cet endroit et la manière dont ils étaient arrivés. Peut être avait-il une explication plus sensée qu'un enlèvement extraterrestre pour justifier leur présence dans cette piteuse chaumière ? Mais plus Gretel s'avançait et plus Hänsel retombait à terre. Son frère ? Etait-ce seulement lui ? Il avait ses cheveux et ses pupilles d'une couleur changée ... Mais pourtant, ses traits et son allure étaient identiques. Dans un moment de doute, le frère aîné eut un mouvement de recul tandis que son semblable accourait vers lui. Un piège ? Mais à peine à quelques pas de lui, le plus jeune se stoppa, tourna la tête et fixa l'immense et interminable bois. Lui aussi semblait hésiter, cette incertitude avait du bon, à présent Hänsel le reconnaissait, il ne pouvait pas se tromper. Cette mimique ainsi que cette expression soucieuse ne pouvait être singée avec autant de perfection. Leur regards se croisèrent une seconde fois, aucun doute ne persistait dans les yeux de Gretel qui franchit les derniers mètres qui les séparaient.

< Gretel > Hänsel... Je suis si content que tu sois là!

Un sourire rayonnant illumina le teint du plus âgé, lui aussi était heureux de le voir, surtout que maintenant ils allaient pouvoir réfléchir à deux pour quitter cet endroit. L'union fait la force et depuis bien longtemps les deux jeunes frères l'avaient compris. Gretel lui était d'un soutien moral inexpliquable, Hänsel se sentait pousser des ailes lorsqu'il était dans les parages, défendre son petit frère était la meilleure motivation qu'il avait connu.

< Hänsel > Mais ... Comment es tu arrivé ici ? Quand ?

Le jeune homme se retenait pour ne pas inonder son frère d'interrogations, il ne voulait pas paraître à ses yeux comme ignorant. Il s'appliquait, et cela depuis toujours, à garder la tête froide et à toujours donner l'image de quelqu'un qui contrôle la situation. Même si dans ce cas, il était très loin de tenir les rennes. Ne remarquant même pas la gêne de son frère et leur demie nudité, Hänsel gardait un sourire radieux, luttant presque pour ne pas serrer son cadet dans les bras

La gêne n'empêcha pas le jeune androgyne de sourire de contentement lorsqu'il vit le regard de Hänsel s'illuminer en le voyant. Joignant les mains devant son coeur, comme pour l'empêcher de cogner trop fort ou encore pour garder ses mains elles-mêmes de vagabonder, il baissa pourtant à nouveau les yeux pour éviter de regarder le corps quasiment nu de son frère aîné. Il ne comprenait pas pourquoi il était si timide.
- Mais... Comment es-tu arrivé ici? Quand?
Gretel releva les yeux. Son frère semblait légèrement inquiet, malgré son expression radieuse. Le garçon dut réfléchir un peu avant de donner une quelconque réponse. Comment était-il arrivé ici? C'était une très bonne question, puisqu'il s'était endormi dans son lit douillet et qu'il s'était réveillé dans une chaumière, nu sur un lit de paille. Et s'il avait été enlevé?
Ses yeux s'écarquillèrent. Bien qu'il eût toujours le visage tourné vers celui de Hänsel, il ne le regardait plus du tout, l'esprit ailleurs. Lentement, il tourna à nouveau les yeux vers l'infinie forêt qui s'étendait non loin de là.
- Je ne sais pas... Je n'en ai aucune idée. Je me suis réveillé ici, il y a de ça quelques... quelques... je ne sais plus, moins d'une heure, cela est certain...
Il parlait de manière saccadée, toujours perdu dans ses pensées. Et si on les avait enlevés, lui et son frère, alors qu'ils dormaient profondément? Peut-être même les avait-on drogués pour les violer! Il serra les dents, son regard doré devenant de plus en plus intense et désespéré. Les sourcils froncés, il imaginait de grosses mains poilues qui se baladaient sur son corps frêle et endormi, des mains grassouillettes et sales qui descendaient sur sa peau douce jusqu'à arriver à... Et là... Ils sortaient leurs... Et ils...

Gretel se renfrogna. Ses idées s'étaient beaucoup trop baladé à son goût. Très inquiet, il se mit à courir jusqu'à la lisière de la forêt, où, après s'être assuré qu'il était bien caché derrière un arbre, les joues en feu, il retira la couverture rude qui lui servait de jupe pour tenter d'observer les dégâts. Il n'arrivait pas à tout voir, mais il voulait au moins découvrir le moindre indice ou encore la moindre maladie qu'on aurait pu lui transmettre. Avec un mélange de soulagement et d'inquiétude redoublée - et si tout était là où il ne pouvait rien voir? -, il ne réussit à trouver rien du tout.
L'idée suivante qu'il eût était de demander à Hänsel de vérifier pour lui les "recoins" que son champ de vision ne pouvait pas atteindre, mais ses joues devinrent encore plus chaudes juste à cette idée. D'ailleurs, il ne voulait pas révéler ses inquiétudes à son frère. Mais pourtant, il n'arrivait pas à trouver d'autre raison sur sa présence en ce lieu étrange...